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18 avril 2015 6 18 /04 /avril /2015 06:55
Interview de Héloïse Grandin, libraire à L’Armitière à Rouen.

Oncle Fumetti continue d’explorer le monde du 9ème art. Si les dessinateurs et les scénaristes sont des acteurs majeurs de ce secteur artistique mais aussi économique. Si les éditeurs sont les personnes qui les « produisent », il est un acteur qui n’est pas neutre dans la réussite d’un livre ou dans la carrière des créateurs ; le libraire. Il est celui qui met en contact la création , « le produit » avec le client final, celui qui achète. Oncle Fumetti a voulu en savoir plus et le mieux c’était de questionner une spécialiste ; Héloïse Grandin de la librairie L’Armitière à Rouen.

Bonjour Héloïse Grandin, comment devient-on libraire spécialisée en BD quand on est dans une grande librairie? Est-ce le hasard ? Le goût pour ce style de livres ? Est-ce une compétence particulière ? Comment devient-on compétent dans ce domaine particulier ?

Comment devient-on libraire spécialisée BD ? Je ne me vois pas comme une spécialiste de la BD mais plutôt comme une amoureuse ou une passionnée. Je suis rentrée à l'Armitière comme étudiante l'été et je ne suis jamais repartie. J'ai pu évoluer et il y a 4 ans, quand le libraire en place en BD est parti, j'ai fait savoir que ça m'intéressait. Je baigne dans cet univers depuis l'enfance, mon père étant un grand amateur, voir collectionneur de BD. Enfant j'ai bien sur lu Tintin, Boule et Bill, Gaston, Astérix et autres mais aussi Zoé et Arthur ou encore Modeste et Pompon. Puis ado, ça a été Les Passagers du vent, Julie Wood (mon héroïne!), Julie Claire et Cécile ou les Léo (Aldébaran et cie). Ensuite je crois que la compétence vient en lisant un peu de tout. En affutant ses préférences, en dévorant l'oeuvre d'auteurs en particuliers, en feuilletant, en essayant. Et puis, en étant à l'écoute des clients.

Comme Oncle Fumetti se doute qu’il y a un acheteur au-dessus de vous, après ce premier échelon ou premier filtre, comment organisez-vous votre rayon ? Comment opérez-vous vos choix ? Comment se fait le choix de la mise en avant ? Qui décide et en fonction de quels critères est-ce décidé ? Veillez-vous à laisser sa place, sa chance à chacun ?

Vaste sujet... Effectivement, je n'effectue pas moi-même les achats de nouveautés, seulement le réassort. Pour ce qui est de la mise en place, je suis assez libre de mes choix. Si j'ai aimé une BD plus particulièrement, je vais faire en sorte de la mettre en avant, soit par un bandeau coup de coeur, soit simplement en la conseillant au plus grand nombre! Après, bien sûr, il y a des impératifs. Prenez des titres comme Astérix ou Blake et Mortimer par exemple. On ne peut tout simplement pas passer à côté donc bien sûr, ils sont mis en avant, en général en grand nombre. La librairie est un lieu d'échange, de culture mais avant tout un commerce ... Quand à laisser sa chance à chacun. C'est parfois compliqué, notamment en fin d'années, les sorties étant extrêmement nombreuses, c'est difficile de tout mettre en avant. Alors il arrive parfois que certaines pépites passent à la trappe et c'est bien dommage. Mais c'est pareil dans chaque rayon de la librairie, pas uniquement en BD.

Comment concilie-t-on dans les rayons les différentes classes d’âge, thématiques, styles, maisons d’éditions. On sait que le secteur de la distribution est soumis à des tailles de « facing », à des contingences commerciales avec les maisons d’éditions sur les surfaces de vente, sur la mise en avant et il y a de plus en plus de BD. Cela doit être difficile non ?

Oui et non. Le rayon est divisé en 3 sous rayons: il y a un rayon jeunesse, une partie séries et une partie "auteurs". Les classements sont vraiment spécifiques d'une librairie à une autre. C'est parfois compliqué de faire la différence entre ado et adultes mais je crois que c'est propre à chaque secteur. Encore une fois, je suis assez libre de mon classement, l'avantage étant que je sois seule dans ce rayon. Mais pour être franche, ça n'est pas toujours un classement logique :). Enfin, il l'est pour moi, pas pour les autres. Mais c'est aussi à ça que sert le libraire! Conseiller, diriger, aider le client dans ses choix.

Chris Ware - Building Stories

Chris Ware - Building Stories

Est-ce avant tout une histoire commerciale ou est-ce aussi une histoire de goût de lecture ou de choix artistique pour ce qui concerne une BD qui est aussi une œuvre artistique, graphique ?

C'est clairement une histoire commerciale pour certains titres. Quant aux autres, c'est une histoire de goût mais pas forcément les miens. Il y a une clientèle fidèle, notamment du côté des enfants, je sais donc ce qui peut plaire ou non. Bien sûr, j'essaie de mettre mes coups de coeur en avant mais comme vous le soulignez, une BD est une oeuvre graphique et artistique. C'est très subjectif, encore plus qu'un roman puisqu'en dehors de l'histoire racontée, il faut aussi être sensible au dessin, au coup de crayon, à ce que le dessinateur a voulu faire passer à travers son dessin.

Vivez-vous les invendus et leurs retours aux diffuseurs comme un échec ? C’est une façon de constater que l’on n’a pas su faire adhérer le lecteur pour un livre que l’on a choisi ?

Non, pas du tout! Comme je le soulignais plus haut, il y a énormément de sorties, chaque semaine alors forcément, il y a des retours obligatoires. Même si le but étant de vendre un maximum de titres bien sûr. Quant au fait de ne pas avoir su faire adhérer le lecteur à un coup de coeur et bien tant pis ! Encore une fois, tout est question de subjectivité. Je préfère me réjouir de voir partir entre les mains d'un lecteur ceux que j'ai aimé plutôt que de m'attrister de les voir repartir chez l'éditeur.

Des BD sont-elles censurées ? Existe-t-il une censure des libraires ?

C'est une très bonne question! Je ne m'étais jamais interrogée à ce sujet. Oui, je pense qu'en BD comme dans d'autres rayons, des BD peuvent être censurées mais personnellement, je ne l'ai jamais fait. La censure étant une privation de liberté, à mon sens. Encore une fois, tout est question de goût. Ce n'est pas parce que le libraire n'aime pas ou juge qu'un livre n'a pas sa place dans son rayon qu'il doit l'interdire. Ce n'est pas son rôle.

Est-ce que la typologie des clients entre en ligne de compte ? Plus simplement est-ce que l’on met en avant des livres en se disant que sa clientèle traditionnelle va acheter et donc que le chiffre d’affaires va être bon ou y-a-t-il encore une place pour l’œuvre atypique qui étonne, dérange ou sort des « sentiers battus » ?

Oui, clairement. J'aime la BD mais il faut aussi penser à manger et pour avoir un salaire à la fin du mois, il faut vendre un minimum :)

Mais quand des nouveautés arrivent, je pense à certains clients. Je me dis que telle ou telle BD peut plaire à telle ou telle personne et je fais en sorte soit de la mettre en avant, soit de la sortir des rayons pour la conseiller lorsque je vois la personne concernée. Mais malgré cela, il y a toujours de la place pour les BD atypiques. Je pense notamment à celle de Manu Larcenet "Microcosme" ou encore celle de Chris Ware " Building stories". Heureusement que ces BD peuvent encore exister d'ailleurs ! Ce serait un peu monotone si l'on avait toujours le même genre d'ouvrages.

Est-ce que l’on peut laisser ses goûts personnels de côté en arrivant à la librairie ? Quels sont d’ailleurs vos goûts personnels en matière de BD ? Si ce n’est pas indiscret…

Je crois qu'il est important de ne pas laisser ses goûts personnels de côté justement! Bien au contraire, c'est ce qui fait la force d'un libraire. Il faut bien sûr être ouvert aux autres mais les goûts personnels sont importants.

Je suis assez éclectique dans mes lectures. J'aime beaucoup le dessin de Gibrat (Le sursis est l'une de mes BD préférées). Larcenet, Chabouté, des séries comme De Cape et de Crocs, Blacksad, Pico Bogue ou les Carnets de Cerise (pour ne pas laisser la BD jeunesse de côté). Les mondes d'Aldébaran, Panaccione, Craig Thomspon (Blankets), Bastien Vives (Dans mes yeux, Polina) ... Et beaucoup, beaucoup d'autres !!

En tant que libraire, qu’est-ce qui vous fait le plus plaisir ? Voir se vendre une œuvre différente qui aura été mise en avant par vous ou autre chose ?

Pas forcément. Forcément, voir une BD que j'ai aimée et mise en avant se vendre me fait plaisir. Mais j'aime beaucoup partager avec les lecteurs. Adultes comme enfants mais j'avoue être assez fière lorsqu'un enfant ne lisant pas beaucoup revient me voir pour acheter les tomes suivants de la série que je lui avait conseillé. Si j'ai choisi ce métier c'est pour les livres d'une part mais aussi pour l'échange, le partage, le débat qu'il peut susciter, que ce soit avec les clients/lecteurs comme avec les collègues.

Merci Héloïse Grandin pour vos réponses. Nous entrerons tous dans une librairie avec un autre regard.

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